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Être une fille ou un garçon, lequel est le plus cher ?

  • Libres Plumes
  • 17 mai 2020
  • 6 min de lecture

par Myriam Gueoual


La question de l’égalité Homme-Femme revêt un aspect profondément économique, bien malgré nous. Au-delà des questions d’écarts de salaires, cette injustice s’étend à la vie quotidienne, à travers les produits que nous consommons tous les jours, des sorties que nous faisons. Je vais dès à présent être honnête avec vous : ça coûte cher d’être une fille. Ma mère me le répète depuis que je suis enfant. J’ai deux frères, un grand et un petit, et plusieurs fois, elle m’a dit : « tu es celle qui me coûte le plus cher des trois ! Mais bon, c’est comme ça les petites filles, elles aiment être coquettes, et cela a un coût, forcément. »

Jusque maintenant, cette remarque ne m’interpellait pas. Je trouvais cela assez logique. J’ai les cheveux longs, je m’épile, me parfume, je dépense donc plus d’argent que mes frères. Pourtant, mes frères aussi vont chez le coiffeur, et plus souvent que moi d’ailleurs. Mes frères aussi se rasent. Mes frères aussi aiment sentir bon. Hélas pour moi, je ne peux pas reprocher à ma mère de s’être trompée dans ses comptes, elle est professeure de mathématiques…

C’est seulement plus âgée que des propos proférés par ma tante m’ont, si ce n’est ouverts les yeux, au moins rendue sensible à ce que je n’aurais pu identifier comme étant une injustice. Elle m’avait offert un épilateur électrique pour mon anniversaire. Ces engins agressent la peau, et après utilisation, laissent apparaître des points rouges que beaucoup jugent peu esthétiques. Elle accompagna donc son cadeau d’un baume après-rasage « Mennen ». Je l’ai regardée, un peu interloquée, en lui demandant pourquoi elle m’avait acheté une crème qui avait été conçue pour les hommes et qui sentait aussi fort.

« J’aime bien cette odeur moi, et puis tu sais c’est exactement le même produit que celui pour les femmes. Sauf qu’ils te raconteront un tas de bobards sur les prétendues vertus de ce produit et te le feront payer 3 fois plus cher pour ça ».

À l’époque je ne soupçonnais pas une telle arnaque. Et puis au fond de moi je m’étais dit qu’elle devait sûrement exagérer. Elle ne faisait jamais rien dans les clous de toute façon. Mais cela a attisé ma curiosité.

Je décide dans cet article de mener ma petite enquête. Et de me poser la question suivante : pourquoi être une fille coûterait-t-il forcément « plus cher » qu’être un garçon ?

Le sujet sur lequel je me penche aujourd’hui a été assez peu abordé en France. Dans les pays anglo-saxons, et d’Europe en général, on appelle cela le « genderpricing ».

C’est une pratique qui consiste à appliquer des tarifs différents pour des biens à usage similaire, sous prétexte qu’ils sont à destination des femmes ou des hommes. La terminologie de « pink-tax » apparaît souvent lorsque l’on évoque le sujet. De manière plus spécifique, elle désigne le fait que les femmes payent souvent plus cher un produit « rose », c’est-à-dire un produit dont seule l’apparence extérieure ou le packaging diffèrent.

Prenons l’exemple commun du rasoir. Il s’agit strictement du même objet pour les hommes que pour les femmes, vous en conviendrez avec moi. Et pourtant, dans un magasin de grande distribution, on trouve pour deux produits similaires (même gamme, même marque) des différences de prix variant entre 1 et 3 euros. Pour les soins du visage, cela est même plus flagrant, les soins féminins allant parfois jusqu’au double du prix des produits masculins. Et quand les prix sont les mêmes pour des produits d’une même gamme, c’est parfois la dimension qui diffère (notamment sur les déodorants féminins, qui sont souvent plus longilignes, ou de formes extravagantes pour masquer le fait que les industriels réduisent les quantités contenues). Oui, ils poussent le vice un peu loin. Il en est de même pour de nombreuses marques de vêtements, et d’autres produits pour lesquels nous mettons un point d’honneur à ne pas nous contenter de modèles uniformisés.

Cette tendance peut aussi être étendue aux services. En effet, la différence exorbitante de prix dans les salons de coiffure nous amène aussi à nous poser la question de l’existence d’une « woman-tax ». Pourquoi une femme ayant des cheveux courts devrait payer plus cher pour un même service de coupe qu’un homme ? Cela reviendrait à sous-entendre qu’une femme a toujours des exigences plus complexes et plus élaborées que les hommes en termes d’apparence. Nous touchons là, à mon sens, à ce qui s’appelle un cliché.

La seconde question que je viens alors à me poser est : existe-il des justifications rationnelles à de telles différences de prix ? Car pour ce qui est du salon de coiffure, beaucoup pourrons m’opposer que l’effort fourni pour une coupe femme est supérieur à celui d’une coupe homme. Mais le fait de travailler sur des cheveux de longueurs différentes peut-il vraiment expliquer une différence de prix de 20 euros ou plus?

Pareillement, dans beaucoup de service de laverie et pressing, laver des vêtements féminins est tarifié toujours plus cher que de laver des vêtements d’hommes. Vous voulez donc une explication ? En voilà une qui m’a beaucoup déplu, mais que je pense fondée.

Des études statistiques de l’INSEE et du ministère de l’économie tendent à souligner que les femmes sont prêtes à payer plus cher des produits, et notamment des produits de beauté, qui leur seraient exclusivement réservés. Elles verraient dans ce prix à la hausse un gage de qualité. C’est tout l’objet de la segmentation et du ciblage en marketing. Vous vous doutez bien que ces industries ont réussi à tourner ce dernier constat à leur avantage. En différenciant en apparence les produits, ces derniers dégagent d’énormes marges. Par l’apparence, j’entends le packaging, la couleur, l’odeur et même les bienfaits prêtés aux produits.

Une crème antirides destinée aux femmes coûte forcément plus chère, dans l’imaginaire collectif, qu’une simple crème hydratante que n’importe quel homme pourrait acheter. Et pourtant, nous pouvons légitimement mettre en doute l’existence de différences de compositions entre ces deux derniers produits. Pour arriver à sa fin, l’industrie publicitaire nous fait miroiter à longueur de journée, sur les réseaux sociaux, via des pubs télévisuelles, sur tous les supports imaginables, que les hommes et les femmes sont si différents d’un point de vue biologique que leurs besoins divergent forcément. La femme a-t-elle une peau si fragile qu’elle ne pourrait appliquer les mêmes baumes après-rasage que les hommes ? On estime, selon une étude de l’INSEE, le surcoût à 1,17 euros en moyenne pour les produits de beauté féminins. Et nous pouvons élargir cet état de fait à d’autres strates de la population, et à d’autres objets. Les petites voitures avec lesquelles jouent les garçons requièrent-elles vraiment moins de main d’œuvre que les têtes à coiffures conçues pour les filles ? Pour les jouets, on estime par exemple au Royaume-Uni que les jouets destinés aux filles seraient tarifiés en moyenne 37% plus cher que les jouets de leurs petits camarades masculins.

L’industrie et la société de consommation aurait alors une dent contre la gente féminine ? J’ai du mal à me dire que les services marketing, où travaillent d’ailleurs de plus en plus de femmes, aient comme unique but de nuire économiquement à ces dernières. Seulement, tout est bon à prendre pour faire du profit. Il suffit de cibler les produits pour lesquels les hommes seraient capables de payer plus que les femmes, et de le faire de la façon la plus discrète possible. Et je me suis alors souvenue de toutes ces boîtes qui faisaient payer l’entrée uniquement aux hommes, et qui allait jusqu’à offrir, en plus de l’entrée, une boisson gratuite aux femmes. Les hommes sont effectivement amenés à payer plus pour tout ce qui touche à la « Nightlife ». Au-delà d’être profondément insultant pour les femmes en général, en faisant d’elles un objet de convoitise pour lequel les hommes paient, et d’être injuste économiquement envers les hommes, cela prête aux hommes des intentions qui ne sont sûrement pas les leurs, ou du moins exagère ces dernières.

Toutes ces choses, insignifiantes en apparence, pourtant profondément ancrées, contribuent à creuser les inégalités existantes entre les sexes, en amplifiant les stéréotypes de genre et en les instrumentalisant à des fins marketing. Certains pourtant s’efforcent de lutter contre cela, dès le plus jeune âge des enfants, en créant des produits uniformes pour les deux sexes. L’apparition de nouvelles segmentations et de positionnement au niveau des produits comme les effets de beauté (comme le bio, ou l’encouragement à consommer local) pourrait aussi contribuer à réduire cette tendance. Mais c’est avant tout à nous consommateurs, de ne pas nous laisser guider par ce que l’industrie, par un mécanisme psychologique subtil, s’efforce de nous imposer.

 
 
 

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