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Le football au féminin

  • Libres Plumes
  • 24 avr. 2020
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 19 mai 2020

par Adèle Besset


Depuis septembre dernier, je joue au foot dans l’équipe féminine de mon école, en m’entrainant 2 fois par semaine sur le terrain et en participant aux matchs du championnat universitaire. Globalement, mon entourage est plutôt fier que je me sois lancée dans ce nouveau sport. Ma famille et mes amis sont souvent intéressés, me posent des questions, me demandent quel poste je joue, etc. En bref, ils ont avec moi le comportement normal que les proches d’une jeune fille qui joue au foot doivent avoir. Et puis, parfois, au détour d’une conversation, j’entends « De toute façon le foot masculin c’est plus dur que le foot féminin ». Et là, ça me rappelle qu’on a encore un petit bout de chemin à parcourir pour faire évoluer les mentalités. En réalité, rien que le fait d’utiliser le terme de football féminin peut être critiqué. On peut parler d’équipe féminine mais le football, joué par des filles ou des garçons, ça reste le même sport. Il n’y a aucune différence de règles entre le football masculin et le football féminin. C’est le même temps de jeu, le même terrain, les mêmes buts, le même ballon et les mêmes crampons.


Récemment, j’ai vu un documentaire intitulé Les Footeuses, réalisé par Ryan Doubiago & Lyna Saoucha (disponible sur Youtube). Il nous parle de filles et de femmes qui partagent la passion du ballon rond, de la joueuse amatrice à la joueuse en Equipe de France. Dans ce reportage, c’est une bande d’adolescentes de banlieue parisienne qui m’a particulièrement touchée. Vivant au quotidien dans un environnement de domination masculine, le football représente pour elles une façon de se faire une place dans un monde qui leur en laisse peu. Elles sont douées techniquement mais surtout elles sont fières et n’ont pas peur de dire ce qu’elles pensent. Dans leur milieu, affirmation de soi et émancipation sont de mise pour vivre pleinement sa passion. Les filles ne sont pas encore acceptées naturellement sur un terrain de foot avec des garçons. Pour jouer avec eux, elles doivent prouver de quoi elles sont capables, elles doivent dribbler les garçons pour se faire une place parmi eux. En quelque sorte, une place sur le terrain en tant que fille, ça se gagne au mérite, à la technique.


Dans la culture populaire, le football féminin a encore du mal à faire sa place. Il faut dire que ce sport a eu une histoire difficile. La discipline apparaît en 1917 et connaît une première phase de croissance. Elle est ensuite souvent interdite, notamment de 1921 à 1971 par la Fédération anglaise de football. Les arguments avancés dans plusieurs pays sont que le football est nocif pour les femmes, incompatible avec leur nature ou encore qu’il risque d’entraîner la stérilité en abîmant l’appareil reproducteur. On peut citer une remarque tout à fait choquante de Henri Desgrange, coureur cycliste français, « Que les jeunes filles fassent du sport entre elles, dans un terrain rigoureusement clos, inaccessible au public : oui d'accord. Mais qu'elles se donnent en spectacle, à certains jours de fêtes, où sera convié le public, qu'elles osent même courir après un ballon dans une prairie qui n'est pas entourée de murs épais, voilà qui est intolérable ! ». Oui, il y a vraiment un homme qui a dit ça mot pour mot. Quand je vous dis qu’on part de loin… Après toutes ces interdictions, il a fallu du temps pour que le football féminin se remette en route et la première coupe du monde officielle a eu lieu seulement en 1991. Celle des hommes, c’était en 1930, quand même.


Aujourd’hui, en France on compte 198 000 femmes sur les 2 millions de licenciés à la Fédération Française de Football (FFF). Pour ce qui est de la professionnalisation, le retard est impressionnant par rapport aux hommes, puisqu’en dehors des gros clubs comme Lyon et Paris, les footballeuses touchent parfois simplement des primes de match et des indemnisations pour leurs déplacements. Les situations économiques des hommes et des femmes sont donc incomparables dans le football. Par exemple, pour la coupe du monde en 2018, la FFF promettait 400 000€ à chaque joueur en cas de victoire alors qu’elle promettait seulement 40 000€ aux footballeuses en 2019. En comparaison, on peut citer l’évolution plus exemplaire du football pour les Américaines. Aux Etats-Unis, en 1972, une loi interdit toute discrimination de genre dans le financement des programmes éducatifs financés par l’Etat. Or aux Etats-Unis, les sportifs débutent souvent leur carrière en passant par les clubs universitaires. Le développement des bourses universitaires sportives pour les filles a permis à des parents d’encourager leurs filles à faire du foot en club pour pouvoir toucher la bourse. Les talents dans le football se sont donc avérés nombreux et des équipes professionnelles ont pu rapidement se former. Aujourd’hui, on compte 1,6 Millions de footballeuses licenciées aux Etats-Unis et les Américaines ont notamment gagné 4 fois la Coupe du Monde. Si l’équipe féminine de football est si forte dans les compétitions internationales, c’est que les filles ont beaucoup moins d’obstacles, notamment en termes financier, pour se professionnaliser.


Le fait de sous-estimer les femmes dans le football n’a rien à voir avec le sport féminin en général. En effet le basket, le handball ou encore le volley sont des sports où les équipes féminines sont largement normalisées. Mais alors pourquoi le foot ? Pourquoi dans ce sport, les femmes ne sont-elles pas acceptées naturellement ?


Il faut bien comprendre que le fait que le football soit considéré comme un sport masculin n’a rien d’inné. Il n’y a pas un rejet du ballon rond dans les chromosomes X aux dernières nouvelles. Selon moi, il existe deux problèmes majeurs qui font obstacles à la démocratisation de ce sport chez les femmes. Le premier problème est celui de la transmission. Dans l’éducation, ce sont naturellement les pères qui transmettent à leur fils la passion du football, en leur montrant des matchs à la télévision et en jouant avec eux dans le jardin. On inculque de plus aux garçons une notion de honte : c’est la honte de jouer au foot avec des filles et c’est la honte surtout de perdre contre les filles. Alors à l’école, dans la cour de récréation, quand on parle de foot et quand on joue au foot, les filles ne sont pas franchement conviées. Le deuxième problème est celui de la représentation. Aujourd’hui il y a toute une imagerie autour du football masculin qu’il n’y a pas autour de son homologue féminin. Or dans notre société, le pouvoir de la représentation est crucial pour changer les mentalités. Et on représente rarement une fille qui joue au foot, que ça soit au cinéma, dans la publicité ou dans la mode. Malgré tout, certains films ont tenté de mettre en valeur des footballeuses. Un des plus connus est Joue-la comme Beckham, un film de Gurinder Chadha, datant de 2002. Le film suit une adolescente d’origine indienne et vivant à Londres, qui veut vivre sa passion du Football, contre la volonté de ses parents. Cette comédie dénonce certes quelques clichés mais elle repose surtout sur une Love Story avec l’entraîneur séduisant et charismatique. Malgré toutes les bonnes intentions de ce film de vouloir abattre les inégalités hommes-femmes, finalement c’est encore un homme au milieu de tout. C’est souvent le cas dans les représentations du sport féminin. C’est souvent un homme qui entraîne des filles et qui couche avec ¼ de l’équipe, qui est au centre de l’attention. Cette image du cinéma a énormément d’influence, sur les plus jeunes notamment.


Les clichés sur le football féminin ont alors la vie dure. Un des clichés que l’on peut noter est celui de la footballeuse garçon manqué. Comme si une fille qui se maquille et qui met des robes ne pourrait pas enfiler un short et un maillot pour enchaîner les passes sur un terrain. Au-delà du physique, on imagine toujours une fille qui fait du foot avec un comportement agressif, voire violent. Selon moi, ces clichés sont forgés dès l’enfance, car dans les faits les filles qui jouent le plus avec les garçons dans les parcs et dans la cour d’école, ont le profil de garçon manqué. Et comme le foot est vu comme un sport « de garçon », l’association foot/garçon manqué est assez rapide à faire.


Le football féminin reste une facette peu médiatisée du ballon rond. Les matchs d’équipes féminines sont souvent décrits comme moins divertissants, plus lents, moins spectaculaires. Alors, certes, en moyenne, les femmes sont moins rapides ou puissantes que les hommes, ça c’est un fait scientifique. Mais il faut prendre en compte le fait que la qualité et l’intensité des entrainements et de la préparation physique dans son ensemble sont plus réduites dans les clubs féminins qui possèdent moins de moyens. Il faut également prendre en compte le fait que les moyens techniques de diffusions ne sont pas toujours les mêmes, en termes de nombres de caméra, de ralenti des actions, etc.


Une évolution médiatique semble cependant être visible depuis quelques années. Déjà lors de la Coupe du Monde de 2011, les choses ont commencé à s’accélérer. En effet, il n’y avait aucune autre grande compétition internationale lors de cet été, et ce « vide » médiatique a permis de mettre à l’honneur les Bleues en France. Mais c’est surtout la Coupe du monde de 2019 qui est le symbole fort de cette transition. La Coupe du monde a été diffusée sur TF1, avec beaucoup plus de moyens techniques que les diffusions des matchs précédents. Le match d’ouverture a par exemple été regardé par 10 millions de téléspectateurs, soit une part d’audience de 44,3%. Beaucoup de Français peuvent maintenant citer le nom de plusieurs footballeuses. Le football féminin, grâce à cette coupe du monde, est devenu un phénomène médiatique en soi et non plus seulement un dérivé du football masculin. Cependant, la coupe du monde avait lieu en France et les pouvoirs publics ont beaucoup encouragé la large médiatisation, il reste donc à espérer que l’engouement restera le même lors des prochaines échéances qui ne se dérouleront pas nécessairement sur le territoire français. Les commentaires sportifs sont un autre aspect de la médiatisation et sur ce point, on voit également une évolution. En effet, alors qu’il y a quelques années les femmes ne commentaient que des matchs féminins, aujourd’hui de plus en plus de femmes commentent également des matchs d’équipes masculines, comme Marinette Pichon lors de la finale de la coupe du France masculine. Cela peut sembler anodin, mais c’est une représentation médiatique qui permet de prouver (même s'il ne devrait pas avoir besoin de preuve) que les femmes sont aptes à commenter un match de football même si celui-ci est joué par des hommes.


Alors oui, il y a du progrès. Le football féminin est en train de devenir normal, de rentrer dans les mentalités et il y a de plus en plus d’équipes féminines amatrices. Du côté professionnel, les clubs se structurent, les filles y sont de mieux en mieux payées. Et surtout, on entend de plus en plus de femmes parler de sport, de manière générale. Que ça soit à la télé, sur les réseaux sociaux ou dans des documentaires comme Les Footeuses, il faut continuer d’en parler, c’est le seul moyen d’éduquer les plus jeunes pour leur faire comprendre qu’une fille qui joue au foot a autant de légitimité qu’un garçon. Le changement doit continuer à opérer de la cour de récréation au plus haut niveau.


Lien vers le documentaire Les Footeuses : https://www.youtube.com/watch?v=tzc22HXRliQ

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