La première bataille du féminisme
- Libres Plumes
- 10 avr. 2020
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 mai 2020
par Myriam Gueoual
Il n’est pas question de fustiger les femmes qui s’adonnent volontiers aux tâches ménagères. Déjà, car cela serait sensiblement réducteur mais, surtout, j’adore faire la vaisselle avec mon père et je ne crois pas que ceci soit gravé en lettre d’or dans mon gêne X.
Il s’agit, dans cet article, de quelque chose de bien plus insidieux. Et nos yeux grands ouverts observent distraitement cette réalité, sans vraiment s’en insurger. Avant d’arriver au cœur du propos, j’aimerais vous raconter une anecdote qui est révélatrice de la prématurité de ce travers, qui gît chez nous tous, indépendamment de notre sexe.
Enfant et adolescente, je passais tout mon temps libre à la piscine. Je nageais plus que j’étais assise à mon bureau chez moi pour faire mes devoirs. De mes 9 ans jusque mes 17 ans passés.
Un jour, je devais avoir environ 10 ans, la mère d’une amie me reconnut sur le bord du bassin, sous mon bonnet de bain et mes lunettes de mouche. Elle portait, dans mon souvenir, un maillot de bain noir une pièce. Elle s’approcha, tout sourire, pour me saluer. Alors qu’elle m’esquissa un signe de la main de loin pour me signifier qu’elle m’avait vue, je vis, sous son bras, une touffe épaisse de poils axillaires. Je me souviens encore, 10 ans plus tard, de ma réaction. J’étais profondément choquée. Encore seulement fillette, j’associai cela à un tas de jugements de valeur dégradants sur sa personne.
« Elle doit être négligée ».
« Elle doit être, d’une façon ou d’une autre, un peu arriérée. »
« Elle doit être sale. »
« Elle doit sentir mauvais. »
« Elle doit n’avoir ni gêne, ni amour propre. »
Je ne sais pas si elle a discerné un froncement de sourcils, un clignement des yeux, un petit rictus, ou quoique ce soit d’autre qui pouvait laisser présager le jugement odieux que je formulai à toute vitesse. Du haut de mes 10 ans, j’adoptai un comportement hostile à la cause des femmes, en attentant à sa liberté de laisser libre cours à sa pilosité, si tel était son désir.
Le sujet de cet article ne porte pas sur les poils, sincèrement désolée d’en décevoir certains. Cela porte sur un thème que j’estime plus général : le manque incontestable de tolérance. Après des expériences sociales en tout genre, j’ai été frappée par le caractère manifeste de cette cruauté, tout particulièrement parmi les femmes. Il ne s’agit là pas d’envie ou de jalousie mal placée. Mais bien de méchanceté, exprimée de manière plus ou moins directe. Ce constat ne se limite pas uniquement aux questions liées à l’apparence, mais aussi à la manière dont chacune et chacun choisissent de mener leurs vies en général.
À quoi donc sont dus ces jugements compulsifs, cette méchanceté gratuite ? Pourquoi les femmes menant une vie sexuelle débridée sont encore largement déconsidérées, voire dénigrées, de leurs consœurs ? Pourquoi lorsque je parcours les commentaires YouTube de mes bloggeuses préférées, certaines filles font-elles preuve d’aussi peu de tolérance envers celles qu’elles prennent pourtant le temps de regarder ?
Les hypothèses se bousculent les unes après les autres dans mon esprit. Je me suis longuement demandé si cela n’était pas quelque chose d’inné chez nous. Quelque chose qui a toujours existé, et qui existera toujours. L’impossibilité de se défaire du regard de nos pairs, peu importe sa nature. J’ai beaucoup de mal à apporter une réponse claire à cette interrogation. Je donne ici un humble avis : il serait très pessimiste de juger que nous sommes profondément mauvais. Cela me mène donc à formuler une hypothèse au rôle autrement essentiel dans l’origine de ce mal : il s’agit de ce que l’on pourrait appeler, de manière assez vague j’en conviens, « construction sociale ». Elle consisterait à imposer des normes de vie, et d’apparence, à une population donnée, en lui inculquant que l’intégration de ses normes contribuerait à son bien-être et son bonheur.
À chaque construction son architecte. Reste alors à identifier ce dernier. Cela est bien plus difficile à faire qu’il n’y paraît. L’héritage historique de la place des femmes dans la société joue un rôle que nul ne peut contester, mais la persistance de certaines pratiques me pousse à dire qu’il ne peut uniquement être question de cela.
Par exemple, quand ma meilleure amie m’explique qu’elle trouve sa pilosité sexy, je ne peux m’empêcher de penser que si nous nous infligeons la souffrance de l’épilation, c’est pour plaire à quelqu’un, plus que par simple détestation de nos poils. Elle est là, dans toute sa splendeur, la peur du jugement.
Mais qui profère ce dernier ? Les hommes ? Pour le point historique, la femme obtient le droit de disposer librement de son salaire en 1907. En 1966, les femmes peuvent gérer leurs biens propres et exercer une activité professionnelle sans le consentement de leur mari. Tout cela pour dire que l’existence et le bien-être de la femme ne dépend plus seulement et exclusivement de son cher et tendre. Ces jugements n’ont plus les répercussions qu’ils pouvaient jadis avoir. Même dans l’hypothèse où l’homme exige, la femme n’exécute plus. En d’autres termes, si ce dernier n’aime pas ses poils, elle est tout à fait libre de le mettre à la porte avec son rasoir.
Pourtant cela serait tellement plus facile. Sans scrupule aucun, désigner le sexe opposé comme seul coupable. Invectiver, comme nous autres hystériques savons le faire, brailler que nous sommes forcées de nous plier aux désirs excentriques du mâle sous peine de nous voir privées de sa considération et de son affection.
Déjà, beaucoup de contre-exemples se présentent à moi. Mon père préfère ma mère sans maquillage. Un de mes plus proches amis aime les femmes mûres parce qu’elles ont une expérience sexuelle beaucoup plus riche que les jeunettes. Je n’ai pas le souvenir qu’un homme m’ait déjà imposé quoi que ce soit, implicitement ou pas. Je ne tiens pas à évacuer toute responsabilité de nos pairs masculins dans cette affaire. Seulement, cela est le reflet d’une réalité où les hommes sont loin d’être les principaux intéressés.
J’en viens effectivement à blâmer les femmes dans leur ensemble. Je n’ai aucunement peur de le faire. Nous sommes, pour beaucoup sans le vouloir, la source de notre malheur. La bonne nouvelle talonne ce constat : nous pouvons tout aussi bien en être le remède.
Depuis fort longtemps, je m’inflige une frustration en regardant quotidiennement des contenus qui déforment la réalité de la vie d’une femme lambda. Combien de temps ai-je passé à « scroller » des profils de filles que je trouvais très jolies sur les réseaux sociaux ? Des femmes dont j’enviais la vie, en apparence, plus que bien remplie ? Combien de fois ai-je regardé des séries dont le message principal était que seules les plus belles et les plus audacieuses d’entre nous avaient des chances de réussite à tous les niveaux ?
Je ne crois pourtant pas à un penchant masochiste latent en chacune d’entre nous.
Je suis sincèrement contrite de le dire, mais il s’agit seulement d’un manque d’honnêteté intellectuelle. D’une part, j’accuse un grand nombre de femmes d’imposer, parfois sans le vouloir, des normes qui sont en décalage totale avec la réalité de la vie. Et en second lieu, je déclare coupables les femmes qui acceptent, voire qui se conforment à ces normes sans jamais se poser la question de leurs origines.
Pour illustrer mon propos, voilà un exemple éloquent. La grande majorité des « followers » de Kylie Jenner, bloggeuse des plus connues, sont des jeunes filles. Tout le monde sait pertinemment qu’elle retouche ses photos. Et pourtant, combien sont-elles, celles qui aspirent à avoir ce même corps en s’obstinant à croire qu’il s’agit d’un objectif réalisable (tout jugement de valeur mis à part) ? En retouchant ses photos, à défaut de se persuader elle-même, elle réussit à persuader les autres (dont une audience d’un très jeune âge) du caractère idéal de son apparence. Du même coup, elle suscite chez ses « fans » un mélange d’adoration et de frustration que nous toutes connaissons très bien. Ce qui donne lieu à des réactions de haine très disproportionnées. Le jugement cruel est de retour. Le cercle vicieux se perpétue, encore et toujours.
C’est la question de l’intégrité et de la probité intellectuelle qui sont ici centrales. « Acceptez les autres tels qu’ils sont, et vous n’aurez pas à cacher qui vous êtes », m’a-t-on chuchoté un jour. Nombreuses sont les initiatives, sur les réseaux sociaux (comme l’hashtag #OnVeutDuVrai) qui tentent d’aller à contrecourant de la tendance générale. Mais les autres ne sont pas le cœur du problème. Start with the woman in the Mirror. Nous ne sommes pas sans savoir que les combats les plus difficiles ne sont pas ceux que l’on mène contre les autres, mais contre nous-même. Il faut oser ne plus fermer les yeux sur tout cela. Il faut oser être la première à ne plus croire. Il faut oser être la première à refuser cette torture permanente. Il faut oser être la voix de l’indulgence envers les autres. Relativiser. C’est l’unique moyen de faire la paix avec soi-même.
Pour aller plus loin : TedX : Comment vous ne vous sentirez jamais la plus belle, par Charlie Danger.
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