L’art de faire passer la pilule
- Libres Plumes
- 24 mars 2020
- 5 min de lecture
par Myriam Gueoual
J’écris ce texte en livrant une expérience très personnelle, qui, je pense, n’a pas seulement été la mienne. Un jour, et de plus en plus tôt dans la vie des femmes, la question de la sexualité et de la contraception occupe une place, et pas des plus infimes. Rentrons dans le tabou de manière assez directe : il est alors question non seulement de notre confort personnel, de celui de notre partenaire, mais aussi d’une question bien plus concrète, pécuniaire, qui à nos jeunes âges, ne peut être mise de côté. Les préservatifs masculins ne sont pas remboursés par la sécurité sociale (pour une raison d’ailleurs qui m’échappe).
Je vais donc rédiger ce texte à la première personne, même si j’ai l’intime conviction que je pourrais tout aussi bien le décliner au pluriel.
Après l’angoisse de l’inconnu venant avec la consultation chez le gynécologue, (le plus proche de chez moi selon Doctolib’), j’aborde le sujet avec le médecin, une moue gênée aux lèvres.
Vous avez sûrement marmonné la chose suivante, pour engager le propos : « J’ai un copain ». C’est en tout cas ce que j’ai dit. Les gynécologues comprennent généralement très vite où vous voulez en venir. Si vite que mon médecin répondit, presque mécaniquement : « Je vous prescris la pilule ? »
Pause. Avec du recul, je me demande maintenant souvent ce qu’il aurait répondu, si j’avais simplement dit : « non ». « Non je ne veux pas prendre la pilule ». Je ne suis malheureusement pas si audacieuse. J’ai simplement hoché la tête, comme si une partie de moi, qui au même instant acquiesçait d’un signe, ne voulait pas vraiment se l’avouer à voix haute. J’étais stressée à l’idée de prendre ce traitement. Car oui, il s’agit d’un médicament. Une petite gélule pleine d’hormones. Tout ça pour dire que ça ne semblait pas vraiment anodin. Mais j’acceptai de m’y plier, en me rappelant ce que m’avait dit un grand nombre de femmes de mon entourage : « ça va te rendre la vie tellement plus simple ».
C’est alors que je vécu une période très pénible de mon existence. Cela peut sembler bien excessif, mais ça n’a vraiment pas été joyeux. Ça a été très court et pourtant, j’ai eu assez de temps pour réaliser que beaucoup de choses anormales étaient en train de se passer. Ça n’est pas simple à décrire, mais cependant, je sais que mes mots raisonneront dans l’esprit de certaines d’entre vous, avec un goût, amer, de « déjà-vu ».
À commencer par une chose qui, je le reconnais, ne me stressa pas vraiment, mais me permit de saisir concrètement le phénomène étrange qui se tramait : mon corps se mit à changer. Ce minuscule comprimé fit gonfler ma poitrine, la rendant douloureuse. Les quelques kilos supplémentaires ne sont pas ce qui m’ont le plus décontenancée, car, à vrai dire, je m’y attendais. En revanche, des saignements chroniques et des douleurs abdominales importantes m’alarmèrent. Je sais seulement maintenant, après m’être renseignée sur internet, que c’est un effet secondaire escompté lorsque la pilule n’est pas adaptée à votre organisme. Pourtant, jamais le médecin ne formula l’hypothèse de telles réactions. Aussi, je commençai à être très triste, sans raison. Je pleurais à longueur de temps. J’étais imbuvable avec mes proches. Ironie du sort : je refusais que mon copain me touche. Même une étreinte m’était insupportable. J’étais déprimée pour la première fois de ma vie. Je ne me reconnaissais plus. J’étais devenue, d’un peu impulsive par moment, complètement incontrôlable, dans mes mots, dans mes gestes, en permanence. Je disais des choses que je ne pensais pas. Et je sentais l’étonnement des gens qui me connaissaient, l’incompréhension, lorsqu’ils étaient témoins de mes sautes d’humeurs alors récurrentes. Pour tout vous dire, j’avais l’impression d’être comme Regan dans l’Exorciste : complètement possédée.
C’est ma mère qui se rendit compte, la première, du caractère anormal et inquiétant de ma situation. Elle prit un rendez-vous d’urgence chez son gynécologue personnel, et m’accompagna. J’expliquai ma situation à ce dernier. Sa réaction ? Il restait de marbre. Mon état lui semblait normal. Rien qu’il n’ait jamais vu en 20 ans de carrière. Une « petite déprime post-pilule ». Le diagnostique était posé. Un peu cyniquement, je trouvais. J’avais des pensées de suicide qui me traversaient, et lui, il me parlait de coup de blues. Il me prescrit une nouvelle pilule, en m’expliquant que chaque femme mettait du temps à trouver une pilule qui lui convienne, des années parfois. Je compris alors directement ce qui était là, sous-entendu : « prends ton mal en patience ». Il fallait que j’accepte de faire le cobaye pendant une durée indéterminée, pour ce qu’il considérait être « mon bien ». Il ajouta :
« Vous avez une peau à tendance acnéique… Vous voulez que je vous prescrive une pilule qui traite ce genre de réactions cutanées ? ».
Je suis sortie de cette consultation très, très pensive. J’ai été en colère un peu plus tard. Je me suis calmée. J’ai réfléchi. Longuement. Et j’en suis arrivée à plusieurs conclusions.
La première : la pilule est une charge mentale importante pour les femmes. Et je me permets de faire une généralité, car je considère qu’un traitement à prendre tous les jours impérativement relève, déjà, de la contrainte. C’est pourquoi, j’ai décidé, à compter de ce jour, de ne jamais plus m’infliger cela de ma vie.
J’ai débattu avec des gens de mon âge sur le sujet, aussi avec des femmes mûres, des femmes âgées qui m’ont reproché mon ingratitude envers ce traitement révolutionnaire et pour lequel nombreuses consœurs s’étaient jadis battues. Ma grand-mère a donné la vie à 12 enfants, ce qui ne me rend pas complètement insensible à ce sujet. J’entends ces arguments. Je conviens du caractère novateur que cela pouvait alors avoir. Mais je pense que tout cela mérite une légère remise en question.
Autre chose, qui découle directement de ce que j’avançais précédemment, et qui me dérange profondément : la réaction systématique (et très désagréable) qu’ont beaucoup de professionnels de la gynécologie, homme comme femme d’ailleurs. Ils proposent tous machinalement la pilule, et s’insurgent parfois même du refus de la prendre. Ce manque de compréhension peut être expliqué par différents facteurs (oui, des intérêts économiques, comme les subventions des laboratoires, rentrent indéniablement dans l’équation, c’est une chose qui a déjà été démontré notamment lors du scandale autour de la prescription des pilules de 3e génération), mais me paraît intolérable et inexcusable. Il est de leur devoir, à mon sens, de diffuser un discours informé sur la contraception, en mentionnant tous les moyens à disposition pour que toute patiente puisse faire le choix qui lui est le plus adapté. Car, ces moyens sont nombreux : l’implant, la pilule, le patch, l’anneau vaginal, le diaphragme, le préservatif féminin (pour en citer seulement quelques-uns.).
Comme vous aurez pu le noter, tous ces moyens de contraception sont féminins. Et il y a un dernier point que j’aimerais vraiment aborder. À savoir : c’est toujours la femme qui endosse. Les règles, la grossesse, n’est-ce pas déjà suffisant ? Je me suis posée beaucoup de questions sur l’avancée scientifique des techniques de contraception masculines, mais c’est un sujet encore très tabou, et, à mon plus grand désarroi, très peu abordés dans les médias. Pour quelles raisons ? Cela m’a fait l’effet d’un énorme préjudice. Pourtant, des chercheurs américains développent et expérimentent en ce moment même une pilule masculine. Assez surréaliste qu’en 2020 qu’une minuscule pilule ne soit pas déjà largement commercialisée, alors que l’on parle d’aller sur la Lune, et que le développement de la technologie se poursuit à un rythme effréné. Je pense sincèrement, qu’ici, il y a un combat d’ampleur à mener. Bientôt, les serviettes hygiéniques seront, peut-être, remboursées. Mais le combat pour l’égalité des sexes est à la mesure des injustices que les femmes subissent encore tous les jours. Et il ne tient qu’à nous de le mener.
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